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Vignette 5

10 juillet 2019

LES LARMES DE LA VÉRITÉ

« ‘Aẓím, que pensez-vous de Siyyid-i-Báb? Quel genre d’homme est-il? Votre entrevue avec lui a-t-elle porté des fruits? »



« Vous le verrez quand vous le rencontrerez vous-même, » répondit Mullá Shaykh ’Alí, connu sous le nom de ‘Aẓím, maintenant un disciple du Báb. « En tant qu’ami, je vous conseillerais de faire preuve de la plus grande déférence afin que vous ne soyez pas amené à déplorer un acte quelconque de discourtoisie envers lui. » Siyyid-Yahyá-i-Dárábí, le plus grand érudit religieux de la Perse, entendit à peine le conseil de son ami, car il réfléchissait déjà à toutes les questions qu’il allait poser et aux normes qui lui permettraient de juger de la vérité de la révélation et des revendications du Báb.

Après avoir passé quelques mois à Búshihr avec le Báb suivant son retour de pèlerinage, Quddús avait reçu la mission de livrer une lettre à l’oncle du Báb à Shíraz. Durant son bref séjour à Shíraz, Quddús a réussi à enflammer l’âme de l’oncle du Báb de la nouvelle révélation. Il livra également une tablette intitulée The Seven Qualifications, qui décrit en détail les conditions essentielles pour devenir Bábí, à un dénommé Mullá Sadiq-i-Khurasaní, qui fut si ravi par le message du Báb qu’en récitant le Shahada – la profession de foi islamique – dans la mosquée, il y ajouta une phrase de cette tablette concernant la station du Báb. Ceci causa un tel tumulte que Quddús et lui furent arrêtés par le gouverneur de la province de Fars et furent torturés.

Ce gouverneur brutal, qui cherchait à punir la source de ces problèmes, envoya ensuite des soldats à Búshihr pour arrêter le Báb et le retourner à Shíraz, où il reçut l’ordre de déclarer publiquement son erreur à la foule rassemblée dans la mosquée Vakhil durant la prière du vendredi. Le Báb nia être le représentant des saints Imáms ou être la Porte des Imáms, mais il confirma qu’il croyait en l’unité de Dieu, en la qualité de prophète de Muhammad et aux Imáms qui l’ont suivi. Ainsi, bien que le Báb ne déclara jamais exactement ce qu’était sa propre station, il ne nia pas non plus la nature de sa propre révélation.

Muhammad Sháh, dont le siège du gouvernement se trouvait à Téhéran, eut vent de la renommée du Báb ainsi que des histoires ridicules de miracles et de sorts magiques que répandaient les gens, et il avait décidé d’envoyer le plus sage et le plus érudit de ses sujets, Siyyid-Yahyá-i-Dárábí, enquêter sur la situation.

La première entrevue menée par Siyyid Yahyá eut lieu dans la maison de l’oncle du Báb, et bien qu’il se montrât courtois envers lui, il posa avec persistance des questions difficiles sur des écrits et des croyances obscures de l’Islam, espérant non seulement le surprendre dans des moments d’incohérence et de faiblesse, mais également démontrer sa propre grande connaissance. Toutefois, les réponses brillantes et logiques du Báb le laissèrent honteux et quelque peu humilié. « S’il plaît à Dieu, je vous soumettrai au cours de ma prochaine entrevue avec vous, le reste de mes questions, et conclurai par là mon enquête », dit-il au Báb. Il se retira alors précipitamment de cet homme qui avait tellement bouleversé ce qu’il comprit soudainement être son propre savoir limité. « Ne t’avais-je pas averti? lui dit ‘Aẓím. Demain, cher ami, n’oublie pas mon conseil si tu tiens à ton âme. »

Le lendemain, quand Siyyid Yahyá rencontra le Báb, il découvrit que toutes les questions qu’il avait eu l’intention de lui soumettre s’étaient effacées de sa mémoire. Pour dissimuler sa confusion, il parla de n’importe quel sujet qui lui vint à l’esprit, mais il s’aperçut bientôt que le Báb répondait à ces mêmes questions qu’il avait oubliées. Abasourdi, il se retira presqu’à l’épouvante de la présence du Báb.

« Par la petitesse de notre esprit et par notre vanité, nous sommes en train de nous soustraire à la grâce rédemptrice de Dieu et de causer de la peine à celui qui en est la Source », observa avec sévérité ‘Aẓím. Ne supplieras-tu pas Dieu cette fois-ci de te permettre de parvenir en sa présence avec l'humilité et le détachement requis; peut-être, par sa miséricorde, te délivrera-t-il ainsi de l'oppression, de l'incertitude et du doute? »



Siyyid Yahyá décida ensuite de demander au Báb de révéler un commentaire sur le chapitre du Qur’án intitulé Súrih de Kawthar. Cette fois, quand il entra en sa présence, ses jambes tremblaient et il était envahi d’un sentiment de crainte. Le voyant si agité, le Báb se leva de son siège et, le prenant par la main, le fit asseoir auprès de lui et offrit de lui révéler ce que son cœur désirait. Incapable de lui donner une réponse, Siyyid Yahyá resta muet d’étonnement.

« Si je révélais pour vous le commentaire sur la Súrih de Kawthar, dit le Báb, reconnaîtriez-vous que mes paroles sont nées de l'Esprit de Dieu? Admettriez-vous qu'elles ne peuvent être assimilées à de la sorcellerie ou à de la magie? » Des larmes coulèrent des yeux de Siyyid Yahyá lorsqu’il entendit le Báb prononcer ces mots. Le Báb demanda qu’on lui apporte son plumier et du papier, et il commença à révéler son commentaire. Siyyid Yahyá resta assis, captivé par la rapidité du mouvement de sa plume. Le Báb écrivit sans s’arrêter du début de l'après-midi jusqu’au coucher du soleil. Il lit ensuite à haute voix son commentaire à Siyyid Yahyá, qui était très touché et se sentait si bouleversé que, par trois fois, il faillit perdre connaissance. Le Báb chercha à le ranimer en aspergeant son visage de quelques gouttes d’eau de rose.

Siyyid Yahyá devint bábí cette nuit-là, et il dit plus tard au gouverneur de Fars que « personne, hormis Dieu qui, seul, peut transformer le cœur des hommes, n'est capable de captiver le cœur de Siyyid Yahyá. Celui qui peut séduire son cœur vient de Dieu, et sa parole est, indubitablement, la voix de la vérité. » Il fut parmi les plus illustres disciples du Báb, qui lui donna le nom de Vahíd Akbar (le grand incomparable). On rapporte que lorsque Muhammad Sháh apprit sa conversion, il aurait dit à son premier ministre, Hají Mirzá Áqásí : "Nous avons été récemment informé que Siyyid Yahyáy-i-Dárábí est devenu bábí. Si cela est vrai, il est de notre devoir de cesser de mépriser la cause de ce siyyid.

Pendant les cinq années qui ont suivi, la renommée de Vahíd en tant qu’enseignant bábí qui aida à de nombreuses personnes à accepter les revendications et les enseignements du Báb s’accrut – et lui valut également des ennemis implacables. Lorsque Vahíd rentra chez lui à Nayríz, le gouverneur jura d’anéantir les bábís sur son territoire et rassembla pour ce faire une armée d’un millier d’hommes. Quelques deux cents hommes, femmes et enfants bábís se barricadèrent alors dans le fort Khájih situé aux abords de la ville, et ils se défendirent si vaillamment qu’après un mois, une copie du Qur’án fut envoyée à Vahíd accompagnée d’une demande de cessez-le-feu. Malgré le grand respect qu’on lui montra, il ne se laissa pas berné par la duplicité du gouverneur, qui promit d’assurer la sécurité des bábís alors qu’il planifiait en secret leur extermination imminente. Vahíd se vit ensuite forcé à écrire une lettre à ses compagnons leur demandant de quitter le fort. Il leur écrivit secrètement une deuxième lettre leur demandant d’ignorer la première, mais l’homme à qui il l’avait confiée détruisit traitreusement la deuxième lettre et livra la première. Les bábís furent surpris par cette lettre, mais ils obéirent quand même, et en quittant le fort, ils furent arrêtés, torturés et martyrisés.

Vahíd connaissait depuis longtemps l’heure et les circonstances de son propre martyre. Les loups humains qui l’encerclaient nouèrent son turban et sa ceinture autour de son cou – les symboles mêmes de sa descendance du prophète Muhammad – et ensuite l'attachèrent à un cheval et le traînèrent à travers les rues de Nayríz où il fut battu sauvagement par une foule en furie. En pleine agonie, Vahíd prononça les paroles suivantes: « Tu sais, ô mon Bien-Aimé, que j'ai délaissé ce monde par amour pour toi et que j'ai placé ma confiance en toi seul. Je suis impatient de venir à toi, car la beauté de ta face a été dévoilée à mes yeux. » Ainsi pris fin la vie noble et héroïque de Vahíd le 29 juin 1850, seulement dix jours avant le martyre du Báb.


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